Le Monde des religions, juillet-août 2008 —

Survenant quelques mois avant les J.O. de Pékin, les émeutes de mars dernier au Tibet ont remis brutalement la question tibétaine sur le devant de la scène internationale. Face à l’émotion de l’opinion publique, les gouvernements occidentaux ont unanimement demandé au gouver­nement chinois de renouer le dialogue avec le dalaï-lama, dont on sait que, contre le désir de la plupart de ses compatriotes, il ne réclame plus l’indépendance de son pays, mais simplement une autonomie culturelle au sein de la Chine. De timides contacts ont été noués, mais tous les observateurs avisés savent qu’ils ont bien peu de chances d’aboutir. L’actuel prési­dent chinois, Hu Jintao, était gouverneur du Tibet il y a vingt ans et il a si violemment réprimé les émeutes des années 1987-1989, qu’il a été qualifié de « boucher de Lhassa ». Cela lui a valu une belle ascension au sein du parti, mais a aussi laissé en lui un ressentiment tenace contre le leader tibétain qui a reçu la même année le prix Nobel de la paix. La politique des dirigeants chinois qui consiste à diaboliser le dalaï-lama et à attendre sa mort en poursui­vant une politique de colonisation brutale au Tibet est fort risquée. Car contrairement à ce qu’ils affirment, les émeutes de mars dernier, comme celles d’il y a vingt ans, ne sont pas le fait du gouvernement tibétain en exil, mais de jeunes Tibétains qui ne supportent plus l’op­pression dont ils sont victimes : emprisonnement pour délit d’opinion, interdiction de parler le tibétain dans les administrations, multiples entraves à la pratique religieuse, favoritisme économique en faveur des colons chinois qui deviennent plus nombreux que les Tibétains, etc. Depuis l’invasion du Tibet par l’armée populaire de Chine en 1950, cette politique de violence et de discrimination n’a fait que renforcer le sentiment nationaliste chez les Tibétains qui étaient jadis assez frondeurs face à l’État et qui vivaient davantage leur sentiment d’appartenance au Tibet par le biais identitaire d’une langue, d’une culture et d’une religion commune que par un sentiment politique de type nationaliste. Près de soixante ans de colonisation brutale n’ont fait que renforcer le sentiment nationaliste et une écrasante majo­rité des Tibétains souhaite recouvrer l’indé­pendance de son pays. Seule une personnalité aussi légitime et charismatique que le dalaï-lama est en mesure de leur faire avaler la pilule d’un renoncement à cette revendication légitime et de parvenir avec les autorités de Pékin à un accord sur une forme d’autonomie culturelle tibétaine dans un espace national chinois où les deux peuples pourraient essayer de coha­biter harmonieusement. Le 22 mars dernier, trente intellectuels chinois dissidents vivant en Chine ont publié dans la presse étrangère une tribune courageuse soulignant que la diaboli­sation du dalaï-lama et le refus de toute conces­sion majeure au Tibet conduisaient la Chine dans l’impasse dramatique d’une répression permanente. Celle-ci ne fait que renforcer le sentiment anti-chinois chez les trois grands peuples colonisés – Tibétains, Ouïghours et Mongols – appelés « minorités » par les auto­rités communistes, qui ne représentent que 3 % de la population mais occupent près de 50 % du territoire. Formons ici le vœu pieu que les Jeux Olympiques de Pékin ne seront pas les Jeux de la honte, mais ceux qui permet­tront aux autorités chinoises d’accélérer l’ouver­ture au monde et aux valeurs de respect des droits humains, à commencer par la liberté des individus et des peuples à disposer d’eux-mêmes.