Le Monde des religions, mai-juin 2008 —

Ces derniers mois ont été fertiles en polémiques sur le thème ultrasensible en France de la République et de la religion. On le sait en effet, la nation française s’est construite dans une émancipation douloureuse du politique à l’égard du religieux. De la Révolution française à la loi de séparation de 1905, la violence des luttes entre catholiques et Républicains a laissé des traces profondes. Là où, dans d’autres pays, la religion a joué un rôle important dans la construction du politique moderne et où la séparation des pouvoirs n’a jamais été conflictuelle, la laïcité française a été une laïcité de combat.

Sur le fond, j’adhère à l’idée de Nicolas Sarkozy de passer d’une laïcité combattante à une laïcité apaisée. Mais n’est-ce pas déjà le cas ? Le président de la République a raison de rappeler l’importance de l’héritage chrétien et d’insister sur le rôle positif que peuvent jouer les religions, tant dans l’espace privé que dans l’espace public. Le problème, c’est que ses propos ont été trop loin, ce qui a suscité, à juste titre, des réactions virulentes. À Rome (20 décembre), il met en concurrence le curé et l’instituteur, figure emblématique de la République laïque, en affirmant que le premier est supérieur au second dans la transmission des valeurs. La déclaration de Ryad (14 janvier) est encore plus problématique. Certes Nicolas Sarkozy rappelle à juste titre que « ce n’est pas le sentiment religieux qui est dangereux, mais son utilisation à des fins politiques ». Il fait cependant une profession de foi fort surprenante : « Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le cœur de chaque homme. Dieu qui n’asservit pas l’homme mais le libère. » Le pape ne saurait mieux dire. Dans la bouche du président d’une nation laïque, ces propos ont de quoi surprendre. Non pas que l’homme, Nicolas Sarkozy, n’ait pas le droit de les penser. Mais tenus dans un contexte officiel, ils engagent la nation et ne peuvent que choquer, voire scandaliser, tous les Français qui ne partagent pas les opinions spirituelles de Monsieur Sarkozy. Dans l’exercice de sa fonction, le président de la République doit conserver une neutralité face aux religions : ni dénigrement, ni apologie. On me rétorquera que les présidents américains ne se privent pas de faire référence à Dieu dans leurs discours alors que la constitution américaine sépare aussi formellement que la nôtre les pouvoirs politiques et religieux. Certes, mais la foi en Dieu et dans le rôle messianique de la nation américaine fait partie des évidences partagées par le plus grand nombre, et fonde une sorte de religion civile. En France, la religion ne rassemble pas, elle clive.

On le sait, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Avec la noble intention de réconcilier République et religion, Nicolas Sarkozy risque, par maladresse et par excès de zèle, de produire le résultat exactement inverse de celui recherché. Sa collaboratrice Emmanuelle Mignon a commis la même erreur avec le dossier tout aussi sensible des sectes. Entendant rompre avec une politique parfois trop aveugle de stigmatisation des groupes religieux minoritaires, politique condamnée par de nombreux juristes et universitaires – j’avais moi-même fortement critiqué à l’époque le rapport parlementaire de 1995 et la liste aberrante qui l’accompagnait -, elle va trop loin en affirmant que les sectes constituent « un non-problème ». Du coup, ceux qu’elle critique avec raison ont beau jeu de rappeler, avec tout autant de raison, qu’il y a des dérives sectaires graves qui ne peuvent en aucun cas être considérées comme un non-problème ! Pour une fois qu’on ose aborder au sommet de l’État la question religieuse de manière nouvelle et décomplexée, il est regrettable que des prises de position trop tranchées ou inappropriées rendent ce langage si peu audible et contre-productif.