Cahiers du CEIFR

Par rapport à d’autres processus de conversion que l’on peut observer en France, soulignons tout de suite la spécificité de la problématique de la ” conversion ” au bouddhisme. D’une part, il s’agit d’une tradition religieuse récemment importée en France: hormis quelques cas d’Asiatiques, il ne s’agit pas d’un ” retour ” à sa tradition d’origine, mais d’un changement de religion ou d’une conversion d’individus ” sans religion ” à cette tradition d’origine asiatique. D’autre part, et nous y reviendrons, se pose aussi le problème de la définition du bouddhisme comme ” religion “. Nous verrons notamment comment cette tradition attire justement un certain nombre d’individus parce qu’elle ne leur apparaît pas pouvoir être définie – à tort ou à raison – comme une religion. On se trouve ainsi devant le paradoxe de personnes très engagées qui récusent toute idée de ” conversion au bouddhisme ” (la formule renvoyant trop explicitement à leurs yeux à une problématique religieuse) et au contraire d’individus très faiblement engagés qui s’affichent explicitement ” bouddhistes “. C’est la raison pour laquelle dans la thèse que je viens de soutenir et de publier sur le bouddhisme en France, j’ai soigneusement évité dans une première approche globale du phénomène de parler de ” convertis “, de ” fidèles ” ou même d'” adeptes “, pour parler indistinctement de personnes ” touchées ” par le bouddhisme. Nous verrons que les Français véritablement socialisées dans le bouddhisme à travers la fréquentation d’un centre ou d’un maître et une pratique spirituelle régulière sont très peu nombreux. Or on ne peut parler de ” conversion ” que pour cette population fortement impliquée. Avant d’étudier plus en détail ce processus de conversion dans le cadre plus spécifique du bouddhisme tibétain – le courant bouddhiste le plus représenté en France – et de montrer comment il éclaire d’une manière forte la relation entre tradition et modernité, rappelons brièvement comment s’est formé en Occident, depuis le milieu du XIXème siècle, un imaginaire à l’égard du bouddhisme, imaginaire qui éclaire en profondeur le succès actuel du message du Bouddha au pays de Descartes et évoquons quelques points très généraux sur le bouddhisme en France.
I. Rappel historique: construction d’un imaginaire
Le bouddhisme n’est véritablement connu en Occident que depuis un peu plus de cent cinquante ans. Bien que de nombreux contacts eurent lieu depuis le xiiie siècle avec des traditions bouddhistes locales, les voyageurs et les missionnaires du Moyen-Âge et de la Renaissance n’avaient pas encore mis à jour l’histoire du bouddhisme et son unité à travers cette immense diversité de cultes et de doctrines, répandues dans la plupart des pays d’Asie. Certes, depuis le xviie siècle, quelques Européens avaient deviné l’origine indienne du Bouddha2 et arrivaient tant bien que mal à situer son existence historique. En 1691 et 1693, Simon de la Loubère, l’envoyé de Louis XIV à la cour du roi du Siam, publia de remarquables travaux qui établissaient la possibilité d’un lien entre les différentes religions du Siam, de Ceylan, du Japon ou de la Chine et évoquaient l’existence possible d’un fondateur unique bien antérieur au Christ3. Mais ces connaissances trop isolées n’eurent guère d’impact en Europe. Il faudra attendre la fondation de la Société Asiatique du Bengale, en 1784, pour que l’orientalisme connaisse un essor rapide et décisif. Dès les années 1820 le mot ” bouddhisme ” apparaît4, et avec lui la première conceptualisation d’un arbre aux multiples ramifications. Mais il faut encore attendre la publication, en 1844, de l’ouvrage magistral d’Eugène Burnouf, Introduction à l’histoire du buddhisme indien5, pour accéder à une connaissance précise grâce à une confrontation critique des sources les plus diverses. Les travaux du savant français et des autres pionniers des études bouddhistes – principalement Alexander Csoma de Köros et Edmond Foucaux sur le Tibet, Jean-Pierre Abel-Rémusat et Stanislas Julien sur la Chine, Christian Lassen et Spence Hardy sur Ceylan – vont susciter en Europe un formidable engouement pour le bouddhisme. Il ne va, dès lors, cesser de se diffuser par vagues successives jusqu’à aujourd’hui.
Au cours de ces quelque cent cinquante ans de diffusion du bouddhisme en Occident, on peut souligner deux faits majeurs concernant sa réception. Tout d’abord le bouddhisme est constamment reçu à travers des prismes culturels déformants et réinterprété à chaque moment fort de sa diffusion en fonction des préoccupations des Occidentaux qui l’utilisent. Ensuite – et cela quelles que soient les périodes – les Occidentaux ont toujours cherché à souligner la parenté du bouddhisme avec la modernité. Depuis sa découverte savante, nous avons ainsi été amené à distinguer quatre grands moments où le bouddhisme connaît un nouvel essor et est réinterprété – toujours dans une perspective moderniste – en fonction des besoins et des mentalités des Occidentaux. 6
Premier moment: le rationalisme bouddhique (milieu du XIXème siècle)
Pour les contemporains de Baudelaire et de Hugo, le bouddhisme, qui vient d’être mis à jour par les études savantes, apparaît avant tout comme une doctrine athée qui prétend ne s’appuyer que sur la raison, place l’expérience individuelle au centre de sa praxis, ne semble reposer sur aucun dogme intangible, propose une morale humaniste sans référence à une quelconque révélation divine, etc. On se plaît surtout à comparer le ” moralisme ” ou le ” dogmatisme ” chrétien avec le système philosophique bouddhique, ” purement rationnel “, étonnamment ” compatible avec la modernité “. Ainsi dans la deuxième moitié du xixe siècle, le bouddhisme se répand, en France tout d’abord, puis dans toute l’Europe, comme un formidable argument contre le christianisme. La plupart des intellectuels athées, anti-cléricaux ou simplement hostiles à ” l’intransigeance ” romaine – Taine, Renan, Nietzsche, Renouvier, Michelet etc. – exaltent le ” rationalisme “, ” l’athéisme ” et le ” positivisme ” bouddhique contre le christianisme qui représente, selon la vision positiviste d’Auguste Comte, un stade infantile de l’humanité. Nietzsche, par exemple, écrit en 1888 dans l’Antéchrist: ” Le bouddhisme est cent fois plus réaliste que le christianisme, il a hérité par atavisme la capacité de poser des problèmes objectivement et froidement, il survient après un mouvement philosophique qui a duré des centaines d’années; la notion de Dieu est déjà liquidée quand il survient. Le bouddhisme est la seule religion effectivement positiviste que nous présente l’histoire, même dans sa théorie de la connaissance (un strict phénoménalisme), il ne déclare plus la “guerre au péché”, mais, rendant à la réalité ses droits, “guerre à la souffrance”. Il a dépassé – ce qui le distingue profondément du christianisme – le leurre de soi-même que sont les notions morales, – il se tient, pour employer mon langage à moi, par delà le Bien et le Mal –7. ” Mais cette idéalisation et cette instrumentalisation du bouddhisme à des fins polémiques ne résistera pas, d’une part à la contre-offensive chrétienne qui présente le bouddhisme comme un pur nihilisme et une épouvantable doctrine du néant – interprétation confortée par l’assimilation du bouddhisme à la doctrine radicalement pessimisme du philosophe allemand Arthur Schopenhauer8 – d’autre part à la diffusion d’ouvrages savants concernant le bouddhisme du Nord, dit du Grand Véhicule, qui présente de nombreux traits religieux proches du catholicisme: abondance des rituels, importance de la hiérarchie et du décorum, croyances en des déités, des esprits démoniaques, des paradis et des enfers… Aussi, après l’avoir porté aux nues, la plupart des intellectuels européens se détournent du bouddhisme.
Deuxième moment: le bouddhisme ésotérique (fin du XIXème s. )
Parallèlement à ce déclin, on assiste à une nouvelle diffusion du bouddhisme par le biais cette fois des cercles occultes qui, tout en restant ancrés dans une perspective rationaliste, tentent pourtant de renouer avec une pensée symbolique et mythique contre le ” matérialisme ” de la pensée occidentale. C’est pourquoi le bouddhisme tibétain, qui allie à leurs yeux pensée rationnelle et pensée magique, rallie les suffrages des mouvements ésotériques qui pullulent en Europe et aux États-Unis au tournant du siècle. Le plus illustre d’entre eux, la Société Théosophique, a été fondée en 1875 par une médium russe, Helena Blavatsky, et un colonel américain, Henry Olcott. Les Théosophes sont fascinés par le Tibet mystérieux et relancent le mythe du Tibet magique et des lamas aux pouvoirs psychiques extraordinaires, qui seraient les derniers ” grands initiés ” de la planète. Le mythe d’un Tibet secret, de lamas aux pouvoirs magiques remonte aux lointains récits des voyageurs médiévaux, tels Marco Polo ou Guillaume de Rubrouck, et était assez répandu en Occident durant le dernier quart du XIXème siècle. De surcroît à cette époque, le Tibet était totalement interdit aux Occidentaux, ce qui ne faisait qu’amplifier les fantasmes à son sujet. Les Théosophes ne pouvaient trouver meilleur refuge pour leurs fameux “Mahatmas ” ou ” Maîtres ” que ce Tibet inaccessible – aucune expédition occidentale n’est parvenue à atteindre Lhassa, la capitale mythique du pays des neiges, durant la deuxième moitié du XIXème siècle. ” Il existe partout dans le monde des occultistes de divers degrés d’avancement, et même des confréries occultes qui ont beaucoup de points communs avec la confrérie principale établie au Tibet “, écrit Alfred Sinnett, l’un des principaux Théosophes, auteurs d’un best-seller au titre éloquent: Le Bouddhisme ésotérique (1881). ” Mais toutes nos recherches à ce sujet m’ont convaincu que la confrérie tibétaine est de beaucoup la plus élevée, et qu’elle est considérée comme telle par toutes les autres. “9
Troisième moment: le pragmatisme bouddhique (années 60)
Initiée au ” bouddhisme ésotérique ” par la Société Théosophique, l’exploratrice française Alexandra David- Néel marque, par son itinéraire hors du commun, une véritable transition entre cet héritage du bouddhisme ésotérique et la diffusion d’un nouvelle vague bouddhiste en Occident au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, marquée cette fois au sceau de l’expérience et du pragmatisme. Au cours de ce long périple en Orient au contact de multiples traditions locales, notamment tibétaines, Alexandra découvre auprès de yogis tibétains ce qu’aucun livre ne pouvait lui offrir: l’apprentissage de la méditation. Aussi écrit-elle en 1921: ” la méditation est la base profonde de la vie du bouddhiste, la base de la doctrine bouddhiste, elle-même issue de la méditation de son fondateur, Sidattha Gotama, le Bouddha. De même que l’on ne peut logiquement dénommer chrétien un homme qui ne prie pas, celui qui ne médite point n’a aucun véritable droit de s’intituler bouddhiste10 “. à l’époque où l’exploratrice française écrivait ces lignes, les premiers Occidentaux ayant compris l’enjeu existentiel du bouddhisme lié à l’efficacité de ses techniques devaient se rendre en Asie pour apprendre à pratiquer auprès de maîtres compétents. Aujourd’hui, la présence de nombreux maîtres spirituels asiatiques en Occident – il est bien évident que le drame du Tibet11 a joué un rôle majeur dans ce processus, en favorisant le contact entre les nombreux lamas tibétains en exil et les Occidentaux – et l’implantation de plusieurs milliers de centres de méditation permettent à tous ceux qui le souhaitent de s’engager ” existentiellement ” dans la voie bouddhique en s’initiant, sous la conduite d’un expert, à diverses pratiques, dont la méditation constitue l’archétype. L’exploratrice et orientaliste française n’a fait qu’anticiper d’un demi siècle ce qui sera, à partir des années 1960, la marque dominante de l’intérêt pour le bouddhisme de nombreux jeunes issues du mouvement de la contre-culture: une voie spirituelle qui permet un travail sur soi, une connaissance de soi, une transformation de soi.
L’expérience intérieure favorisée par la méditation bouddhiste est conçue comme une véritable science. Ainsi, à la science occidentale qui s’intéresse aux phénomènes extérieurs, Matthieu Ricard, cet ancien chercheur à l’Institut Pasteur devenu moine bouddhiste tibétain, oppose ” la science intérieure12 ” que constitue le bouddhisme, ” science ” qui permet de répondre aux grandes questions de l’existence et d’aider l’individu à trouver le bonheur véritable. Cette recherche individuelle du bonheur, inscrite au cœur de la modernité psychologique, constitue également l’axe central de la démarche du bouddhisme, elle-même perçue par les Occidentaux comme rigoureuse et pragmatique. On peut donc dire que le bouddhisme offre, pour ces nouveaux adeptes, une sorte de ” science moderne du sujet “, pour reprendre l’expression d’Edgar Morin, laquelle possède en outre un avantage déterminant: celui de favoriser pratiquement le bonheur individuel par un travail sur soi qui intègre toutes les dimensions de la personne: corps, imaginaire, émotions, psychisme, esprit.


Quatrième moment: l’humanisme bouddhique (fin du XXème siècle)

On assiste enfin depuis une dizaine d’années à une effervescence médiatique autour du bouddhisme, et tout particulièrement de la figure emblématique du dalaï-lama, qui obtint le prix Nobel de la Paix en 1989. Depuis lors, les films hollywoodiens, les émissions de télévision et les dossiers de presse consacrés à ” la vague bouddhiste ” se sont multipliés et de nombreux ouvrages touchant au bouddhisme sont devenus des best-sellers. Par le biais de cette intense médiatisation, ce sont aujourd’hui plusieurs millions d’Occidentaux qui sont touchés par le bouddhisme à travers des emprunts très divers: pratique ponctuelle de la méditation – parfois dans un cadre explicitement chrétien – croyances au karma et à la réincarnation – 24 % des Européens – et surtout forte sensibilité aux valeurs de tolérance religieuse, d’interdépendance, de compassion et de respect de la vie, de responsabilité individuelle et universelle, valeurs qui jalonnent tous les discours, les ouvrages et les interviews du dalaï-lama. La ” modernité ” du bouddhisme est une nouvelle fois soulignée. Mais cette fois surtout à travers sa dimension éthique, qui semble bien ajustée au grands défis auxquels l’humanité est aujourd’hui confrontée, notamment les dangers du fanatisme religieux et les menaces écologiques. Soulignons que ce nouvel essor du bouddhisme à l’Ouest se produit au moment même où s’effondrent les dernières grandes utopies politiques. C’est sur un champ de ruines idéologiques que le bouddhisme médiatique du dalaï-lama se développe en Occident et apparaît à beaucoup comme une nouvelle ” sagesse laïque ” ” aux valeurs universelles.
Conclusion: un double héritage
A travers cet héritage, le bouddhisme apparaît donc avant tout ” moderne “, parce qu’il est rationnel – religion sans Dieu ni dogme – parce qu’il est pragmatique et efficace et enfin parce qu’il constitue une sorte d’humanisme, de sagesse laïque, adaptée aux grands défis de notre temps. Parallèlement à la construction progressive de cette représentation d’un bouddhisme comme ” religion moderne ” et qui imprègne aujourd’hui tous les esprits, nous avons vu que l’on assistait depuis la fin du XIXème siècle au développement d’un imaginaire spécifique concernant le bouddhisme tibétain. Tout au long du XXème siècle un abondante littérature ésotérique ne va faire que renforcer ce mythe du ” Tibet magique “, mythe qui trouve son expression populaire la plus aboutie dans une bande dessinée comme Tintin au Tibet. Le drame du Tibet, envahi par la Chine en 1950 et qui subit un véritable génocide depuis lors, renforce dans l’esprit de nombreux Occidentaux cette idéalisation d’un Tibet traditionnel ” totalement pur et pacifique ” qui lutte par les seules armes de l’esprit contre la puissance totalitaire chinoise. La figure emblématique du dalaï-lama incarne à elle seule ce double imaginaire occidental: il apparaît comme moderne, rationnel et non dogmatique, proche de la science occidentale, tolérant, professant la compassion et la responsabilité. En même temps, il incarne par son combat pacifiste la tradition millénaire du Tibet menacée de disparition, mais aussi ce Tibet magique, qui croit aux signes du ciel et aux oracles, qui voit des grands maîtres se réincarner en petits enfants et des lamas aux pouvoirs mystérieux. Ainsi le succès actuel du bouddhisme tibétain en Occident se joue entre une perception moderne d’un coté et l’attrait d’une pensée magique et le recours à une tradition ancienne de l’autre.
II. Bref aperçu du bouddhisme en France
Par les curieux hasards de l’histoire, la France s’est trouvée au XXème siècle au carrefour des courants bouddhistes les plus divers: Vietnamiens venus combattre en Europe durant la Première Guerre mondiale; installation au début des années 1960, dans le Sud-Est de la France, du Centre européen du mouvement japonais Soka Gakkai; lamas tibétains appelés par des disciples occidentaux à fonder des centres en France à la fin des années 1960; arrivée, à la même période, du maître japonais Taisen Deshimaru qui a choisi la France pour transmettre le zen en Occident; afflux de réfugiés politiques cambodgiens et vietnamiens fuyant les massacres des Khmers rouges dans les années 1970. Les principaux courants du bouddhisme asiatique sont donc bien représentés en France. Mais tandis que les communautés du Sud-Est asiatique restent assez repliées sur elles-mêmes, les courants zen et tibétains touchent des milliers de Français désireux de s’initier aux enseignements du Bouddha et de pratiquer la méditation. On compte ainsi actuellement dans l’Hexagone plus de deux cent centres de méditation zen et tibétains. L’un des principaux dojo zen d’Europe est en Touraine le plus important monastère tibétain d’Occident est en Auvergne. Totalement absent du paysage religieux officiel il y a moins de dix ans, le bouddhisme est aujourd’hui reconnu, de facto, par les pouvoirs publics comme la quatrième religion des Français et, depuis 1997, les bouddhistes ont droit à leur quote-part d’émissions religieuses à la télévision.
Peut-on recenser les bouddhistes français? Les chiffres généralement avancés sont forts disparates. l’Union Bouddhiste de France (UBF) recense 600.000 fidèles selon un décompte précis: 50.000 Chinois, 400.000 réfugiés du sud-est asiatique et 150.000 Français de souche (c’est évidemment ce dernier chiffre qui importe dans le cadre de cette étude). Beaucoup moins euphorique, François Jacquemard, le responsable des Editions Claire Lumière qui publient le Guide du Tibet en France depuis une quinzaine d’années, estimait en 1993 que les Français ” convertis ” au bouddhisme, tous courants confondus, étaient moins de 10.000. Les pouvoirs publics français, via le ministère de l’intérieur et des cultes, estiment eux à ” maximum 400.000 ” le nombre de bouddhistes en France dont ” environ 50.000 Français convertis “. 13 Les médias font aussi référence à des sondages qui montrent que plusieurs millions de français sont séduits par le bouddhisme et sensibles à certains de ses thèmes comme la tolérance et la liberté laissée à chacun de suivre sa propre voie. Outre leur absence de justification, ces chiffres sont sans signification s’ils ne sont pas reliés à des catégories diverses. Mis à part les bouddhistes d’origines asiatiques, combien de Français ” de souche ” sont-ils touchés par le bouddhisme? Que l’on parle de 2 millions, de 150.000, de 50.000 ou même de 10.000 Français devenus ” bouddhistes “, à quel niveau le sont-ils et selon quels critères? Comment mettre à jour divers modèles ou catégories afin d’évaluer l’importance réelle d’un phénomène parasité par une exploitation médiatique intense et de mesurer son impact sur les individus et sur la société française? Nous avons tenté de montrer dans notre étude que le critère le plus approprié au but recherché est celui de l’implication, critère qui correspond beaucoup mieux aux caractères du bouddhisme et de la modernité religieuse que les critères d’appartenance, d’adhésion ou d’identité. L’implication est en effet un critère axiologique neutre, sans connotation religieuse, qui évite tous les jeux rhétoriques, les malentendus et les pièges théoriques liés aux notions d’adhésion et d’identité. Appliqué au bouddhisme, il permet de mesurer l’intensité de l’engagement des individus sans privilégier ou exclure l’un des nombreux paramètres à prendre en compte: investissement intellectuel, pratique de la méditation, pratique des rituels, adoptions de principes de conduite éthique etc. Le travail que nous avons entrepris permet ainsi de distinguer trois grandes catégories selon un critère d’implication: des plus engagés – les ” pratiquants ” socialisés dans des centres – au moins engagés – les ” sympathisants ” sensibles aux valeurs du bouddhisme – en passant par les ” proches “, catégorie intermédiaire qui recouvre trois modèles: les bricoleurs syncrétistes, les chrétiens qui pratiquent la méditation et les intellectuels agnostiques. Partant des fichiers des centres zen et tibétains, nous pouvons avancer le chiffre d’environ 12 à 15 000 ” pratiquants réguliers ” auquel on peut ajouter les quelque 6 à 7000 membres de la Soka Gakkai. 14 Un sondage récent (Psychologies-BVA, décembre 1999), confirmant d’autres enquêtes d’opinions antérieures, permet de chiffrer à 5 millions le nombre de ” sympathisants “. On peut enfin très grossièrement estimer entre 100 et 150.000 le nombre des ” proches “. Cette première ébauche de recensement par catégories selon le critère d’implication permet non seulement d’avoir une idée plus précise de l’impact réel du bouddhisme en France – très peu de personnes vraiment engagées et beaucoup de personnes ” sensibles ” – et d’établir des comparaisons avec les autres courants religieux. Il apparaît ainsi clairement que les Français qui revendiquent une identité religieuse bouddhiste sont essentiellement les quelques centaines de milliers d’Asiatiques, auxquels on peut tout juste ajouter quelques milliers de Français – principalement issus du courant tibétain et de la Soka Gakkai – qui se reconnaissent comme ” convertis “.
Les convertis au bouddhisme tibétain
Concentrons-nous sur les Français socialisés dans la tradition tibétaine, qui fréquentent régulièrement un centre, s’adonnent à diverses pratiques rituelles et méditatives et se reconnaissent volontiers comme ” bouddhistes “, même si cette étiquette n’a pas pour tous une connotation religieuse. Les nombreux témoignages que nous avons recueillis par voie d’entretiens (une trentaine) et de questionnaire (plus de 600) montrent un triple mouvement à l’oeuvre dans le processus de conversion au bouddhisme tibétain. D’un coté, les pratiquants sont profondément insérés dans le monde moderne et semblent bien façonnés par le primat de la rationalité, l’individualisme et le pragmatisme, si caractéristiques de la modernité. Et c’est cette parenté qu’il perçoivent entre bouddhisme et modernité qui les engage vers cette voie spirituelle. D’un autre coté, ils critiquent certains aspects de la modernité – manque de verticalité, société de consommation, rationalisme-technicien étouffant etc. – et c’est souvent au nom de cette critique qu’ils font appel à la tradition bouddhique, en recherchant des maîtres spirituels expérimentés les aidant à vivre une ” expérience spirituelle authentique “. C’est donc à travers cette triple relation entre modernité, critique de la modernité et appel à la tradition qu’ils convient d’étudier les processus de conversion dans le cadre du bouddhisme tibétain, en montrant tous les ajustements et rééquilibrages que les adeptes occidentaux du bouddhisme tentent d’opérer entre ces trois pôles. Voici, très brièvement résumées, quelques pistes.
Pensée rationnelle et pensée magique
Il apparaît clairement à la lumière de l’enquête que le développement du bouddhisme est favorisé tant par la modernité que par la crise de la modernité. 15 De la modernité, il intègre les valeurs fondamentales d’individualisme et de rationalité-pragmatisme. Aucun adepte interviewé ne songe à remettre en question ces deux postulats. Tous sont des parfaits représentants de l’individualisme moderne et insistent sur leur liberté de choix ou leur bonheur personnel, comme sur l’aspect rationnel, concret et efficace du bouddhisme. Le fait que la plupart d’entre eux soient des citadins, issus de milieux bourgeois et ayant fait des études longues, les rend particulièrement représentatifs de l’individualité occidentale dans ce qu’elle a de plus poussé. Dans la crise de la modernité cependant, s’insère son caractère plus archaïque, magique, symbolique, ritualiste, qui permet de raccrocher le sujet atomisé à un cosmos sacré. Ce balancement entre pensée rationnelle et pensée magique apparaît tout particulièrement avec le bouddhisme tibétain. Le témoignage de Christophe, ce polytechnicien de 32 ans, est à cet égard éloquent: ” Ce qui m’a beaucoup plu dans le bouddhisme, c’est cette approche rationnelle et en même temps ce côté magique. Le défaut de l’approche scientifique, surtout aujourd’hui, c’est qu’on est tombé dans l’extrême, ce qu’on appelle le scientisme, le matérialisme radical. C’est un danger. Si la vision scientifique était une bonne chose au départ – elle a repoussé les dogmes religieux de l’Église catholique – on est allé trop loin dans le matérialisme et une vision réductionniste du réel. Le bouddhisme a un point de vue à la fois très logique, tout à fait scientifique, mais ne se borne pas à ça. Il y a en effet dans le bouddhisme une dimension qui dépasse l’entendement rationnel, le monde du concept. Quand un grand maître, que ce soit le karmapa ou Lama Guendune, fait des miracles – et ils en font, j’en ai vu – ça dépasse l’entendement. Il y a un côté magique qu’il n’y a nulle part ailleurs. ”
Nous avons cependant constaté que certains Occidentaux touchés par le bouddhisme tibétain et qui étaient de toute évidence particulièrement fascinés par son côté magique, mystérieux, initiatique, ressentaient le besoin dans leur discours de minimiser, voire de nier ce caractère ” merveilleux ” pour mettre en avant le caractère moderne, rationnel, pragmatique, voire ” scientifique ” de cette tradition. Nous émettrons l’hypothèse que le bouddhisme tibétain attire tout particulièrement des Occidentaux en quête d’une expérience typiquement religieuse – impliquant la foi, l’émotion, le sacré, le symbole, le rituel, le mythe – mais qui ont besoin du discours rationnel et moderne du bouddhisme pour revenir à la religion. Il s’agit le plus souvent d’anciens catholiques en révolte contre la religion de leur enfance ou bien d’individus sans expérience religieuse antérieure, mais trop fortement insérés dans l’univers moderne rationaliste pour reconnaître – face aux autres, mais parfois aussi à leur propres yeux – leur besoin de se relier à un cosmos sacré. On peut d’ailleurs se demander si cette impossibilité de définir le bouddhisme comme religion selon les critères substantiels habituels, alors qu’elle en revêt pourtant maints caractères, ne constitue pas un des motifs importants de l’attraction du bouddhisme sur des Occidentaux qui ne veulent plus entendre parler de ” religion “, mais dont la demande religieuse est toujours aussi pressante. La recette du succès bouddhisme est en quelque sorte inverse de celle du Canada Dry: ça ne ressemble pas à de la religion, et pourtant c’est bien de la religion !
Tradition et modernité: une religion sans Dieu ni dogme
Voyons maintenant plus précisément le rapport entre tradition et modernité. Notre enquête nous a convaincu que le recours à la tradition n’annule en rien les effets de l’individualisme moderne sur les croyances et les comportements religieux contemporains comme la perte de crédibilité et l’effacement des institutions religieuses. La tentative de réinscription dans une tradition bouddhiste constitue davantage un effort de rééquilibrage contre les excès de la modernité, qu’une tentative de sortie de la modernité et d’un retour dans l’univers stable de la tradition. C’est précisément parce qu’il possède une réelle affinité avec la modernité – affinité il est vrai souvent exagérément mise en avant, mais néanmoins réelle – que le bouddhisme permet à des Occidentaux d’avoir recours à cette tradition. Le paradoxe du bouddhisme, maintes fois souligné depuis plus de cent cinquante ans et qui exaspère notre logique manichéenne, tient en cette association de traits typiques de l’univers religieux traditionnel et de traits typiques de la modernité. Il constitue pour de nombreux Occidentaux un lieu de rencontre privilégié de l’univers moderne et traditionnel, dans lequel ils peuvent sélectionner ce qui leur convient le mieux dans ces deux univers. Cet espace assez unique, au sein duquel des individus enracinés dans le monde moderne, mais en quête d’autres horizons de sens que ceux offert par la techno-science et la société de consommation, leur permet de réconcilier certains acquis fondamentaux de la modernité – raison, individualisme, pragmatisme, relativisme – avec une expérience spirituelle ” profonde ” et authentifiée par des ” experts ” en religion, mais débarrassée des caractères les plus ” périmés ” de leur univers religieux traditionnel: Dieu, le dogme et la norme. Le bouddhisme apparaît dès lors comme une ” religion moderne “, c’est-à-dire une voie spirituelle balisée, mais qui laisse au sujet son entière liberté de choix et d’action. ” Ce qui m’a particulièrement touché dans le bouddhisme, c’est la liberté laissée à chacun de prendre ce qui lui convient “, explique Jacqueline, une enseignante à la retraite, insistant ainsi sur le caractère résolument moderne de sa démarche. Mais elle insiste aussitôt sur la nécessité de s’enraciner dans une tradition en suivant les conseils d’un maître avisé: ” on ne peut se passer d’un être authentique qui a vécu l’expérience avant vous et qui est comme un miroir pour vous. Il peut vérifier à chaque instant l’authenticité de votre expérience spirituelle. ”
Les individus attirés par le bouddhisme restent très sensibles aux valeurs modernes d’individualisme, de liberté de choix et de subjectivité qui continuent de miner la religion traditionnelle, quelle qu’elle soit. En même temps ils veulent inscrire leur trajectoire spirituelle dans une ” lignée de pratiquants ” qui remonte jusqu’au Bouddha lui-même. Cet appel à la tradition semble remplir plusieurs fonctions. Nous en relèverons au moins quatre.
Fonction initiatique tout d’abord, qui se manifeste sous un double aspect pédagogique et de garde fou. Tous les pratiquants mettent en avant la nécessité d’apprendre à méditer auprès de guides expérimentés. La recherche du maître spirituel est donc primordiale. Celui-ci est choisi librement – caractéristique centrale de la modernité – mais le disciple s’engage ensuite à suivre en toute confiance ses recommandations concernant son apprentissage de la vie spirituelle et tout particulièrement de la méditation. La tradition est aussi perçue comme un rempart contre des expériences mystiques archaïques que le méditant redoute de vivre au cours de son cheminement spirituel.
Le recours à la tradition revêt ensuite, pour beaucoup de pratiquants, une fonction socialisante. Il répond, aux besoins d’individus aux trajectoires éclatées de recréer du lien social en s’agrégeant, même ponctuellement et partiellement, à d’autres ” méditants ” dans le cadre d’une pratique et d’un croire commun. Les pratiquants du bouddhisme tibétain insistent sur le rôle et la personnalité du lama comme cohésion de la communauté. Pour eux, une communauté bouddhiste n’a de sens que par rapport au maître spirituel qui agrège un certains nombre de disciples autour de lui. Lorsque le maître disparaît, la communauté n’a plus vraiment de raison d’être. C’est pourquoi beaucoup d’adeptes quittent le centre après le décès du lama qui les avait touchés et cherchent un autre lama ailleurs. On peut donc dire que la socialisation religieuse du bouddhisme tibétain est principalement de type charismatique.
Le recours à la tradition a également une fonction de stabilisation et d’unification, car elle offre la possibilité à des individus aux trajectoires personnelles éclatées de trouver, même superficiellement, une certaine cohérence et stabilité. L’enquête, notamment par voie de questionnaires, a montré que la plupart des pratiquants du bouddhisme tibétain se sont véritablement ” convertis ” au bouddhisme après la trentaine, et plutôt vers 35-40 ans. Beaucoup ont eu auparavant un parcours de vie assez chaotique sur le plan affectif et spirituel. En quête d’autres valeurs que celles proposées par la société occidentale et déçus par leur religion d’origine, ils ont cherché longtemps un sens à leur existence et ce qu’il appelle volontiers leur ” propre voie spirituelle “. Ils mènent alors pendant des années une recherche tous azimuts à travers diverses lectures philosophiques et spirituelles, des stages de développement personnel, un travail psychologique de type gestaltiste ou jungien, la pratique du yoga etc. Au cours de ce parcours éclaté, nombre d’entre eux d’ailleurs, ont croisé le bouddhisme à travers un livre, une conférence, un voyage en Asie. Ils ont ressenti une sympathie et un intérêt pour les enseignements du Bouddha, mais pas au point de s’engager dans une pratique. Et puis, quelques années plus tard, toujours errants, ils retrouvent le bouddhisme au hasard d’une rencontre ou d’une lecture et décident de franchir la porte d’un centre. Le déclic est alors le plus souvent immédiat. Ils ” reconnaissent ” dans le message et les pratiques bouddhistes ce à quoi ils aspiraient depuis de nombreuses années. D’un coup, leur parcours inchoatif semble trouver une cohérence nouvelle. La conversion au sein d’une tradition apparaît ainsi comme un processus essentiel à la construction d’une identité. Espace moderne de liberté où chacun peut ajuster ses besoins spirituels personnels autant qu’espace traditionnel d’enracinement, le bouddhisme semble, ici aussi, parfaitement adapté à la demande paradoxale des Occidentaux.
L’appel à la tradition revêt enfin pour tous les pratiquants du bouddhisme une fonction mémorielle. Ce qu’ils recherchent dans l’invocation à la tradition ce n’est nullement son caractère normatif et contraignant, mais la possibilité qu’elle leur offre d’agréger leur quête individuelle à une grande aventure historique. Ici aussi, la réarticulation du rapport à la tradition semble s’effectuer dans le cadre d’une religiosité émotionnelle selon le ” type idéal ” weberien. Dans le contexte général de dissémination du croire, le recours à des figures charismatiques, sur lesquelles l’émotion se fixe, constitue l’une des seules façons pour les ” petites pages ” des parcours individuels atomisés de s’agréger au ” grand Livre ” de la Tradition. Les travaux de Danièle Hervieu-Léger sur la tradition et la mémoire s’avèrent ici très éclairants. 17 L’inscription dans une lignée croyante, ou plus précisément ici dans une lignée de pratiquants et d’hommes ayant fait cette expérience fondamentale de ” l’éveil “, est un trait essentiel du bouddhisme. Chaque lama tibétain ou maître zen commence son enseignement en faisant référence à ses maîtres et en montrant la filiation qui le relie à tel lointain fondateur de lignée, qui tous remontent, de maître à disciple, au Bouddha lui-même. Pour Christophe, ” le bouddhisme est la seule tradition vivante, authentique, qui s’est transmise de maître à disciple sur la planète. ” Jacqueline souligne quant à elle qu'” il est dit dans le bouddhisme tibétain que si la transmission vivante est rompue à un moment, tout se perdra. ”

 

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Les processus de conversion au bouddhisme tibétain constituent-ils un retour stable dans un univers religieux traditionnel? L’observation attentive des comportements de ces nouveaux convertis montre qu’il n’en est rien. Derrière l’apparente soumission au ” magistère bouddhique “, toutes sortes de bricolages sont encore à l’œuvre et la plupart de ces engagement restent très fragiles. Cette nouvelle tradition, cette nouvelle autorité n’est plus reçue, elle est choisie. Ce renversement complet permet à l’individu moderne de s’engager dans cette démarche de conversion, mais l’incite aussi à se réapproprier la tradition et à l’ajuster à ses besoins… quitte à l’abandonner si cet ajustement s’avère impossible. Ce n’est plus en effet aujourd’hui la tradition qui s’impose à l’individu et l’intègre dans son moule, mais l’individu qui choisi une tradition et l’adapte à ses besoins personnels. Comme le souligne Danièle Hervieu-Léger, ” être religieux en modernité, ce n’est pas tant se savoir engendré que se vouloir engendré. Ce remaniement fondamental du rapport à la tradition qui caractérise le croire religieux moderne ouvre, de façon en principe illimitée, les possibilités d’invention, de bricolage et de manipulation des dispositifs du sens susceptibles de faire tradition. “18
On constate ainsi chez les adeptes français du bouddhisme tibétain non seulement un important bricolage au niveau des croyances, mais aussi une adhésion communautaire très lâche. Les responsables des centres déplorent un très important ” turn over “: environ 10% des pratiquants restent fidélisés plus de cinq ans et 3% plus de dix ans, selon les statistiques de l’Institut Karma Ling. Les adeptes du bouddhisme tibétain, notamment, ont tendance à changer de centre selon l’évolution de leurs besoins et la présence ponctuelle de tel ou tel grand lama venu donner une initiation ou un enseignement. Relevée par les sociologues à travers les nombreux pays européens, cette fluidité des engagements et cette conception instrumentale de la communauté est parfaitement typique de la modernité religieuse et touche toutes les religions historiques comme les nouveaux mouvements religieux. Elles traduisent, une fois encore, cette révolution copernicienne de la conscience religieuse: ce n’est plus la tradition qui dicte le sens à l’individu, mais l’individu qui va librement chercher ce qui fait sens pour lui dans une ou plusieurs religions. Le ” self service ” religieux est la conséquence de ce basculement du rapport à la tradition et, mis à part une petite minorité de fidèles profondément et durablement socialisés dans une religion, la plupart des Occidentaux qui se convertissent aujourd’hui au sein d’une tradition historique ne s’investissent ni totalement – le bricolage et les réinterprétations subjectives restent à l’œuvre – ni durablement. ” Il y a d’excellentes raisons pour que les hommes d’après la religion aient la tentation de se convertir tous azimuts, souligne Marcel Gauchet. Et il y en a de meilleures encore pour que leurs conversions ne soient ni très solides ni très durables, parce qu’ils ne sont pas capables de renoncer aux raisons qui les déterminent à se convertir, ce qu’exige une conversion pour être entièrement efficace. Aller-retour et compromis boiteux entre l’adhésion et la distance, entre le culte du problème et le choix de la solution qui définit la religiosité spécifique de l’époque – et peut- être le mode durable de survie du religieux au sein d’un monde sans religion. “19 La conversion au bouddhisme en offre un excellent exemple.

 

Frédéric Lenoir (CEIFR, EHESS, Paris)